


Le p'tit ch'val dans le mauvais temps
Qu'il avait donc du courage!
C'était un petit cheval blanc
Tous derrière, tous derrière
C'était un petit cheval blanc
Tous derrière et lui devant!
Il n'y avait jamais d' beau temps
Dans ce pauvre paysage!
Il n'y avait jamais d' printemps
Ni derrière, ni derrière,
Il n'y avait jamais d' printemps
Ni derrière ni devant!
Mais toujours il était content
Menant les gars du village
A travers la pluie noire des champs
Tous derrière, tous derrière
A travers la pluie noire des champs
Tous derrière et lui devant!
Sa voiture allait poursuivant
Sa bell' petit' queue sauvage
C'est alors qu'il était content
Tous derrière, tous derrière
C'est alors qu'il était content
Tous derrière et lui devant!
Mais un jour dans le mauvais temps,
Un jour qu'il était sage
Il est mort par un éclair blanc
Tous derrière, tous derrière
Il est mort par un éclair blanc
Tous derrière et lui devant!
Il est mort sans voir le beau temps
Qu'il avait donc du courage!
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière, ni derrière
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière, ni devant!
Si une fois terminé le bombardement,
alors que tu marches dans l'herbe qui a autant de chance
de pousser parmi les ruines
que sur la mitre de ton Évêque,
tu es capable d'imaginer que tu ne vois pas
ce qui va immanquablement se dérouler devant tes yeux,
ou que tu n'entends pas
ce que pourtant il te faudra entendre longtemps encore;
ou (ce qui est plus grave)
si tu penses que l'astuce ou le bons sens te suffiront
pour éviter qu'un jour, rentrant chez toi,
tu ne trouves plus qu'un fauteuil brisé parmi un tas de livres déchirés,
je te conseille de courir sans demander ton reste,
d'aller chercher un passeport,
un mot de passe,
ou d'invoquer un fils infirme, n'importe quoi
qui puisse te justifier auprès d'une police pour l'heure malhabile
(car elle est constituée de paysans et de manœuvres)
et de prendre le large à tout jamais.
Fuis par l'escalier du jardin
(surtout sans être vu).
N'emporte rien.
Il ne te servira à rien d'avoir un manteau, des gants, un nom de famille,
ou même un lingot d'or, un vague titre.
Ne perds pas de temps
à sceller tes bijoux dans la cache d'un mur
(ils le découvriront de tout façon).
Ne cherche pas à mettre tes papiers à l'abri dans la cave
(les miliciens sauront plus tard les retrouver).
Méfie-toi de ta domestique la plus dévouée.
Ne remets pas tes clefs à ton chauffeur, ne confie pas
ta chienne au jardinier.
Ne te berce pas d'illusions en écoutant sur ondes courtes
les nouvelles.
Arrête-toi devant la glace la plus haute de ton salon,
tranquillement,
et contemple ta vie,
regarde-toi tel que tu es,
tu n'en auras plus l'occasion.
Déjà ils enlèvent les barricades dans les parcs.
Déjà ceux qui ont pris d'assaut le pouvoir montent à la tribune.
Déjà le chien, le jardinier, le chauffeur et ta bonne
sont là-bas en train d'applaudir.
(Hors-jeu 1968)
Heberto Padilla (poète d'origine cubaine).