jeudi 3 novembre 2011

Limonov


Emmanuel Carrère


Quatrième de couverture:


Limonov n’est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Il a été voyou en Ukraine ; idole de l’underground soviétique sous Brejnev ; clochard, puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement. C’est une vie dangereuse, ambiguë : un vrai roman d’aventures. C’est aussi, je crois, une vie qui raconte quelque chose. Pas seulement sur lui, Limonov, pas seulement sur la Russie, mais sur notre histoire à tous depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale


Ma lecture:

La biographie est un genre littéraire que je lis peu mais apprécie beaucoup. C'est pour cette raison que j'ai choisi ce livre dans l'ensemble de la sélection proposée par PriceMinister (ICI) et puis, c'est vrai, j'avais aimé le précédent livre de Carrère (ICI).

La vie de Limonov au-delà de sa singularité nous permet de revisiter l'histoire russe et ce ne fut pas pour me déplaire. En vrac: retrouver ce que fut la Glasnost, l'arrivée des dissidents en occident, l'emprisonnement provisoire de Gorbatchev dans sa datcha, les épisodes alcoolisés de l'histoire russe, les débuts de la guerre en Tchétchénie, la montée en force de Poutine (et le parallèle fait avec Limonov du point de vue de leur personnalité)... 
Parfois un peu perdue au travers des hommes qui firent l'extrême droite (ou gauche) russe (mais après tout quelle importance d'être perdue?), noyée par leur nom, la multiplicité des rencontres, parfois agacée par ce Limonov qui pouvait être imbuvable (qui l'est certainement), et parfois intriguée par ce qu'il a pu écrire. Car oui, je me souviens de quelques uns des titres de ses livres, je me souviens que je devais avoir une quinzaine d'années. Mais je n'ai rien lu de lui. 
Parfois me disant, je voudrais en savoir plus sur ce point: comme la paternité de Limonov qui est à peine effleurée.

Nous suivons son parcours: Russie, États-Unis, France, etc.... Finalement, j'ai l'impression que Limonov a toujours été "contre" et c'est cette position qui le maintient vivant. Le seul moment de sa vie où il nous paraît apaisé ou tranquille, c'est en prison. Il n'est plus contre, il est avec, avec les autres prisonniers, il retrouve une certaine sérénité. 

Bref, je recommanderais ce livre pour celles et ceux qui au-delà de l'histoire d'une vie ont quelques intérêts pour l'histoire de l'ouverture de la Russie vers l'Occident, vers l'économie de marché, la transformation de ce qu'était un pays communiste vers le libéralisme.

Quelques citations:

ZAPOÏ

P57: "Zapoï est une affaire sérieuse, pas une cuite d'un soir qu'on paye, comme chez nous, d'une gueule de bois le lendemain. Zapoï, c'est rester plusieurs jours sans dessoûler, errer d'un lieu à l'autre, monter dans des trains sans savoir où ils vont, confier ses secrets les plus intimes à des rencontres de hasard, oublier tout ce qu'on a dit et fait: une sorte de voyage."

ÉMIGRER: Edouard émigre vers les États-Unis.

P134: "A nous qui allons, venons et prenons des avions à notre guise, il est difficile de comprendre que le mot "émigrer", pour un citoyen soviétique, désignait un voyage sans retour. (...) Je parle des gens qui émigraient en toute légalité. C'était devenu possible, quoique difficile, dans les années soixante-dix, mais celui qui faisait la demande savait, si elle aboutissait, qu'il ne pourrait jamais revenir. Même en visite, même pour un court voyage, même pour embrasser sa mère mourante. Cela faisait réfléchir, c'est pour cela qu'assez peu de gens voulaient partir et c'est ce qu'avait sans doute escompté le pouvoir en ouvrant cette soupape de sécurité."

Edouard revient au pays, visite ses parents. LE GAZ est gratuit.

P284: "La flamme bleue du gaz, qui brûle en permanence sur la cuisinière, agace Edouard. Il veut l'éteindre, mais elle proteste: ça tient chaud, et puis c'est une présence, c'est comme d'avoir quelqu'un avec soi dans la pièce. "Si je faisais comme toi, à Paris, ça me coûterait des milliers de francs.", observe-t-il, et du peu qu'il a raconté sur sa vie à l'étranger c'est ce détail qui, de loin, la frappe le plus: "Tu veux dire que là-bas l’État est tellement près de ses sous qu'il vous fait payer le gaz?" Elle n'en revient pas mais, songeuse: "Remarque, il paraît que Gorbatchev et ses petits fayots veulent faire pareil chez nous...."."

ELTSINE

P393: "Si indulgents que soient les Russes pour l'alcoolisme, ils ne trouvent plus très drôle que leur président se soûle comme un cochon chaque fois qu'il les représente à un sommet international. Ils ont carrément honte de le voir, lors des célébrations solennelles, à Berlin, de la victoire de 1945, dodeliner du chef à la tribune, puis se mettre à battre la mesure d'un air de plus en plus réjoui, enfin se lever en titubant et, sous les regards effarés des autres chefs d’État, prétendre diriger lui-même la fanfare militaire."

Thèse de Paul Klebnikov/ Tchétchénie

P394:"La Tchétchénie, indépendante depuis 1991 et gouvernée par un ex-apparatchik soviétique hâtivement converti à l'islam, était sans aucun doute une zone franche pour la criminalité organisée, une plaque tournante du trafic de drogue et de fausse monnaie, mais la Russie, même si sa part du gâteau diminuait, continuait d'y trouver son compte et il n'y avait aucune urgence à intervenir. Il y avait urgence, en revanche, à dissimuler la corruption massive du haut commandement militaire. Les généraux avaient vendu d'énormes quantités d'armes, de munitions et surtout de blindés au marché noir, ils avaient donc besoin d'un grand conflit quelque part pour que ce matériel volatilisé puisse être considéré comme officiellement détruit."

Enrichissement des oligarques russes et réélection dEltsine

P396:  "L'idée est simple: leurs banques prêtent de l'argent à l’État, dont les caisses sont vides, ces prêts sont gagés sur les fleurons, pas encore privatisés, de l'économie russe -le gaz, le pétrole, les vraies richesses du pays-, et si au bout d'un an l’État n'a pas remboursé, ils passeront à la caisse et se serviront. L'échéance tombe après la présidentielle, il est donc vital pour les oligarques qu'Eltsine soit encore président à ce moment, et pas un Ziouganov qui, pour montrer sa vertu, risque de dénoncer l'accord"

P398: "..., ils jettent dans la campagne toute leur puissance financière et médiatique -et leur puissance médiatique, cela veut dire tous les médias. Tous les journaux, toutes les radios, toutes les chaînes de télévision martèlent le message: soit Eltsine, soit le chaos. Soit Eltsine, soit le grand retour en arrière. Et pour qu'on n'oublie ni idéalise ce qu'a été le communisme, on diffuse vingt-quatre heures sur vingt-quatre des documentaires terrifiants sur le goulag, sur la famine organisée par Staline en Ukraine, sur le massacre de Katyn."

P446: Limonov en prison

"S'il y a une personne au monde de qui je n'aurais jamais songé à le dire, c'est Limonov, qui avec tout son courage et son énergie vitale me semble être la plupart du temps à côté de la plaque. Mais en prison, non. En prison, il n'est pas à côté de la plaque. Il sait où il est."


J'ai pu lire ce livre grâce aux Matchs littéraires:

les matchs de la rentrée littéraire




Et si vous souhaitez voir toutes mes lectures, 

10 commentaires:

  1. Double exploit : Carrère parvenant à ne pas réduire les ambiguïtés de Limonov malgré un nombre forcément limité de pages et votre billet rendant justement compte de l'envergure du livre...

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  2. Je l'ai reçu grâce à une filleule pour l'opération Price Minister, je verrai si j'accroche ou pas. J'avais adoré "d'autres vies que la mienne" avec lequel j'avais découvert Carrère (raison de mon choix), mais ce roman m'a l'air très politique, j'espère qu'il ne le sera pas trop à mon goût Merci en tout cas pour ta critique Chrys, et bonne journée!

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  3. Merci pour cette critique Chrys et bonne rentrée ! Des Bubble bisous et une jolie journée, contente de te retrouver.

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  4. bonjour Chrys,
    finalement, pas certaine d'aimer ce genre de livre... en fait, la politique en roman m'ennuie.
    Je pense que je vais faire l'impasse sur ce livre,

    bonne journée
    bises

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  5. A la fois intéressant et repoussoir...ce livre m'intrique et je ne sais pas encore de quel côté je vais pencher...Ton avis est intéressant en tout cas...

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  6. Tu as la capacité de lire à grande vitesse et de tout enregistrer. Bravo Chrys!

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  7. je suis en train de le lire aussi, et j'aime beaucoup jusqu’ici !

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  8. J'ai tellement aimé son livre de l'an dernier que je lirai bientôt ce livre-ci aussi, même si le sujet m'intéresse moins. Beau billet d'autant plus que ce récit ne doit pas être simple à résumer. !

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  9. pour l'histoire, ça m'intéresse grandement ! merci Chrys !

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  10. Comment te dire ... je n'aime pas Carrère enfin sa façon d'écrire, bien sûr !!!

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